Centre Eau Terre Environnement
490, rue de la Couronne
INRS-ETE
Québec
Québec, Canada
G1K 9A9
418.654.3723
mazoyer.flora@gmail.com
Les milieux d’eau douce représentent une faible surface à l’échelle de la planète, mais les processus d’échange y sont très intenses: on considère désormais qu’il s’agit d’une importante composante à prendre en compte dans le cycle global du carbone. Dans les territoires arctiques, le dégel du pergélisol, causé par le réchauffement climatique, entraîne la formation de petits lacs et la mobilisation de stocks de carbone qui étaient jusque-là inaltérés et immobilisés dans la glace et le sol gelé. Sous l’action microbienne et photochimique, une partie de ce carbone se dégrade et se transforme en gaz à effet de serre (CO2, CH4) renforçant l’intensité du réchauffement. Cependant, il existe de nombreuses incertitudes concernant la proportion de ce carbone pouvant être transférée vers l’atmosphère, ainsi que son potentiel d’amplification du réchauffement global. En effet, les facteurs qui contrôlent ce transfert et leurs interactions restent mal connus: les paramètres physiques et structurels des systèmes aquatiques (par ex. température, lumière, turbulence, stratification, bathymétrie), la biodisponibilité du carbone, le rôle de l’activité microbienne et photosynthétique.
Mon doctorat s’inscrit dans le cadre d’une série de projets réalisés au laboratoire d'Isabelle Laurion du Centre Eau Terre Environnement de l'INRS, qui ont pour objectifs de:
i) Quantifier plus précisément leurs effets sur les émissions de gaz à effet de serre;
ii) Déterminer de quelle façon les changements environnementaux en cours (dégel du pergélisol, augmentation de l’intensité lumineuse, changement de la végétation) influencent ces facteurs et par conséquent, les émissions de gaz à effet de serre;
iii) Établir si ces émissions de gaz à effet de serre peuvent induire un mécanisme de rétroaction positive sur le climat.
Mon travail de thèse s’intéresse tout particulièrement à l’impact de la lumière sur le devenir du carbone mobilisé par le dégel du pergélisol dans les petits lacs arctiques et subarctiques. La lumière peut agir sur la matière organique et permettre l’émission de CO2, à la fois directement et indirectement, en catalysant l’action microbienne. Mais on connaît mal l’ampleur de ce phénomène, en particulier dans les petits lacs nordiques peu profonds, pourtant très abondants sur la planète.
Les objectifs sont donc de déterminer l’impact des différentes voies de cette photo-oxydation sur la minéralisation de la matière organique et les émissions de gaz à effet de serre, et d’évaluer l’influence du réchauffement climatique actuel et à venir sur les effets de cette photo-oxydation par modélisation. Enfin, ce travail permettra de préciser la contribution des écosystèmes d’eau douce arctiques aux émissions globales de gaz à effet de serre.
Les hypothèses à tester sont les suivantes: 1- La photo-oxydation accélère significativement la minéralisation de la matière organique libérée par le dégel du pergélisol, et 2- le réchauffement climatique mènera vers une plus grande production de CO2 et de CH4 par l’entremise de cette photo-oxydation et des effets indirects associés (prolongation de la saison estivale, apports accrus de matière organique, activation de la production bactérienne et intensification de la stabilité thermique).
Des prélèvements et des expériences seront réalisés dans des sites arctiques et subarctiques traversant un gradient de conditions climatiques et comprenant différents types de pergélisol et de dépôts organiques: à Whapmagoostui-Kuujjuarapik (pergélisol sporadique), à Umiujaq et près de la rivière Boniface (pergélisol discontinu) et à l’île Bylot (pergélisol continu).
Le CO2 et le CH4 dissous, le carbone organique dissous, les propriétés de la matière organique dissoute colorée (PARAFAC sur matrices d'excitation/émission de la fluorescence), ainsi que l’abondance (cytométrie en flux) et l’activité bactérienne (leucine tritiée, consommation de l'O2, et autres indicateurs d'activité tels que les acides gras), seront mesurés in situ et à travers des expériences d'incubation d'eau lacustre. Les incubations seront effectuées avec ou sans lumière et avec ou sans filtration (0.2 µm), permettant de distinguer les effets de la lumière des effets des bactéries. Les caractéristiques des sites expérimentaux telles que la lumière spectrale incidente (stations SILA du Centre d’études nordiques) et l'atténuation de la lumière dans la colonne d’eau (photomètre profileur Satlantic) seront également prises en compte. Des datations au 14C permettront de déterminer l'âge du carbone "disponible" (matière organique dissoute) et transformé en CO2 (à l'aide de tamis moléculaires, collaboration avec M. Billet, Royaume-Uni).Les prévisions futures seront modélisées à partir des résultats obtenus pour différents scénarios de régime de lumière (par ex. variations dans la lumière incidente, le couvert de glace et la durée de la saison estivale, la quantité et qualité de la matière organique dissoute, le régime de mélange).
Mazoyer, F., Laurion, I., Rautio, M., 2022. The dominant role of sunlight in degrading winter dissolved organic matter from a thermokarst lake in a subarctic peatland. Biogeosciences, 19: 3959–3977. DOI: 10.5194/bg-19-3959-2022.
Laurion, I., Massicotte, P., Mazoyer, F., Negandhi, K., Mladenov, N., 2021. Weak mineralization despite strong processing of dissolved organic matter in Eastern Arctic tundra ponds. Limnology and Oceanography, 66(S1: Biogeochemistry and ecology across Arctic aquatic ecosystems in the face of change): S47-S63. DOI: 10.1002/lno.11634.