Pavillon Alexandre-Vachon
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Québec
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La dynamique populationnelle de plusieurs écosystèmes est caractérisée par des fluctuations cycliques d’abondance d’espèces. Si l’étude des cycles de population des petits rongeurs fascine les scientifiques depuis près d’un siècle, il n’existe toujours pas de consensus sur leurs mécanismes sous-jacents. Depuis 2004, plusieurs travaux se sont penchés sur les déterminants des cycles d’abondance chez les lemmings de l’écosystème toundrique en utilisant l’île Bylot (Nunavut) comme un laboratoire naturel. Dans le Haut-Arctique, les lemmings constituent des espèces clés de l’écosystème terrestre, car il n’existe que peu de proies alternatives. Les cycles des lemmings s’étalent sur des périodes de 3 à 5 ans, pendant lesquelles la population passe par les phases de croissance, pic, déclin et creux. L’absence de croissance immédiatement après la phase de déclin suggère que la survie et/ou la reproduction sont maintenues à un niveau faible.
Mon projet vise à isoler le rôle de chaque prédateur dans la régulation des cycles des lemmings en identifiant si un prédateur élimine préférentiellement les femelles. Pour ce faire, je vise trois objectifs spécifiques : 1) évaluer les différences estivales d’exposition aux prédateurs aviaires entre les sexes en comparant leurs patrons respectifs de temps passé hors-terrier; 2) tester l’hypothèse d’une vulnérabilité saisonnière différentielle entre les sexes en déterminant le sexe ratio des restes de carcasses retrouvées, d’une part, dans les boulettes de régurgitation aux nids d’harfangs et, d’autre part, dans les nids d’hiver de lemmings prédatés par l’hermine; 3) établir les liens entre survie des mâles et femelles lemmings, leur sexe-ratio et la présence/absence des différents types de prédateurs, en utilisant les données démographiques longitudinales du suivi à l’île Bylot (Nunavut).
Depuis 1988, l’écosystème toundrique de l’île Bylot est suivi par un programme de recherche multidisciplinaire, ce qui en fait l’un des plus importants sites de suivi écologique de tout l’Arctique. Les réseaux trophiques arctiques présentent la particularité de n’impliquer qu’un nombre réduit d’espèces par rapport aux réseaux des régions tempérées ou tropicales, rendant l’étude de leurs interactions moins complexe. Le site d'étude inclut trois grilles de trappage vivant, dont deux de 168 stations de trappage, et un de 120. Ce dernier a été utilisé dans le cadre d’une expérience à grande échelle où les prédateurs aviaires et les renards ont été exclus de la zone (9 ha) durant 5 ans. Ces travaux ont montré que l’exclusion de ces prédateurs a ralenti le déclin mais celui-ci s’est tout de même produit, suggérant un rôle clé du seul prédateur pour lequel l’exclos était perméable, l’hermine.
L’objectif 1 sera réalisé en équipant les lemmings de colliers photosensibles qui enregistrent le flux lumineux ambiant en temps réel, permettant de détecter les entrées et sorties du terrier. Ces colliers prototypes, développés par la plateforme Sentinelle Nord - Université Laval, constituent une nouveauté technologique pour le suivi comportemental à fine échelle de micromammifères et sont particulièrement adaptés à la réalité des 24h de luminosité estivale de l’Arctique. L’objectif 2 implique le développement d’une méthode de sexage génétique des divers tissus de carcasses pouvant être retrouvés dans les nids des prédateurs (boulettes de régurgitation récoltées aux nids d’harfangs et restes de lemmings prédatés prélevés dans des terriers et des caches d’hermines. Des analyses démographiques sur plus de 30 ans de données seront ainsi réalisées pour explorer les questions de saisonnalité dans la vulnérabilité différentielle des sexes à la prédation en fonction des prédateurs présents.
Je fais l’hypothèse que l’hermine est un prédateur spécialiste dont l’impact hivernal méconnu pourrait se révéler capital dans le maintien de la phase de faible abondance. En accédant aux nids que les lemmings construisent sous la neige l’hiver, l’hermine exercerait une prédation disproportionnée sur les femelles, lesquelles, en ayant des jeunes relativement odorants et bruyants, seraient plus facilement détectables que les mâles. La réduction du capital reproducteur de la population ainsi provoquée, l’hermine retarderait le retour à un taux de croissance positif de ses proies. À l’opposé, pendant la période estivale, ce sont les mâles qui seraient plus vulnérables à la prédation - par les rapaces cette fois - en raison de leur plus grande fréquence et distance de déplacement, associées à leur recherche de partenaires de reproduction, et donc d’une exposition accrue par rapport aux femelles.