Campus de Rimouski
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Les budgets globaux de carbone considèrent que les rivières transportent passivement le carbone terrigène vers les océans. Le transport fluvial constitue le principal lien de carbone entre le continent et l’océan. Le carbone inorganique dissous (CID) des rivières est un système dynamique ouvert contrôlé par la nature des roches du bassin versant, par la nature des sols, ainsi que par le métabolisme aquatique. Il est aussi fortement affecté par les échanges de CO2 avec l’atmosphère. Les rivières ne transportent donc pas seulement le carbone, mais sont un lieu de transformation biologique et de transfert vertical du sédiment à l’atmosphère (1).
Malgré leur faible superficie, les eaux de surface émettent une quantité significative de CO2 vers l’atmosphère. Ce flux doit être inclus dans les modèles globaux de manière à bien quantifier les transferts de CO2 dans le cycle global du carbone. Dans les grands cours d’eau, l’activité de la faune et de la flore aquatique serait la principale source de production de CO2 (2). Macklin et al. (2014) et Polsenaere & Abril (2012) soulignent cependant le rôle prépondérant des eaux souterraines comme source de CO2 aux rivières, notamment dans les cours d’eau de premiers ordres. Les contributions de l’eau souterraines à l’écoulement des rivières sont sporadiques et spatialement hétérogènes et constituent ainsi des « hotspots » biogéochimiques intermittents, ou des « hotmoment » (5,6), où le CO2 serait dégazé rapidement vers l’atmosphère (2). À l’échelle du bassin versant, les effets de ces « hotspots » et « hotmoment » biogéochimiques sur les bilans de matière et de carbone seraient importants (5).
En milieu tempéré froid, les eaux souterraines souvent beaucoup plus enrichies en CO2 que les eaux de surface, interagissent avec les rivières dans un contexte de forte variabilité saisonnière où l’évolution des niveaux d’eau se caractérise par deux périodes d’étiage (niveau le plus bas d’un cours d’eau), l’une hivernale, l’autre estivale. L’effet de la saisonnalité et de la particularité des étiages hivernaux sur les échanges de carbone en milieu tempéré froid sont très peu étudiés et intégrés dans les modèles actuels malgré les modifications hydroclimatiques et les réorganisations des réservoirs de carbones associés au réchauffement actuel du climat.
Au sein d’un bassin versant, notre capacité à localiser ces zones de résurgence est encore très limitée. Leur hétérogénéité spatiale serait liée aux contextes géologique et hydrogéologique, à la nature du lit de la rivière, et à sa morphologie. Les conditions hydroclimatiques (e.g. recharge, hauteur de la nappe d’eau souterraine, débit de la rivière) sont aussi des facteurs de contrôle de la dynamique temporelle des décharges. Dans les régions froides, par exemple, le gel des sols, les précipitations solides et le développement de glace de rivière influencent les débits. Les décharges d’eaux souterraines sont souvent prises en compte par défaut à la fin des études pour compléter les bilans de masses sur les rivières sans que de réelles mesures des décharges d’eau souterraines ne soient réalisées. Localement, la localisation de ces résurgences et la quantification des décharges d’eau souterraine sont rendues possibles par l’utilisation de traceurs isotopiques spécifiques.
L’objectif général de la recherche est de localiser et quantifier les décharges d’eau souterraine et de CO2 à différentes échelles spatiales et temporelles. Bien que le projet soit fondée sur l’étude de sites spécifiques (les rivières Matane, rivière Neigette, et rivière Rouge (Qc, Canada)), il produira un cadre théorique pour améliorer les estimations des décharges d’eau souterraine et de dégazage de CO2 à l’échelle de bassin versants en milieu tempéré froid. La réalisation de cet objectif implique de répondre à trois objectifs spécifiques :
1) caractériser l’importance de la saisonnalité dans les décharges d’eaux souterraines vers les rivières, et dans les processus de dégazage du CO2. Un intérêt particulier sur le rôle de la glace hivernale dans l’intensité des échanges et sur la distance d’exportation du CO2 entre l’aquifère et la rivière est développé. A travers des prélèvements réalisés dans la rivière et dans des puits situés dans la plaine d’inondation, les analyses, réalisées de manière spatialisée, serviront à la quantification des apports d’eau souterraine à la rivière et du CO2 au cours du temps. A travers l’utilisation de chambres d’accumulation posées sur la glace permettant de piéger le CO2 et le 222Rn potentiellement transmis à l’atmosphère, l’étude permettra de déterminer si la glace joue le rôle d’une barrière aux échanges gazeux entre la rivière et l’atmosphère. La continuité saisonnière des prélèvements des eaux assurés par des forages dans la glace et/ou par l’installation de piézomètres ancrés dans les berges permettra à l’inverse de vérifier si le CO2 s’accumule sous la glace et donc si cette dernière favorise les exports de CO2 issues des eaux souterraines sur une plus grande distance
2) définir le rôle de la morphologie des cours d’eau à la fois dans le continuum aquifère-rivière et dans les échanges de CO2. Les valeurs de décharges et de dégazage obtenues dans les trois sites et aux différentes périodes seront mises en lien avec une étude détaillée de la morphologie des rivières. Cette étude sera réalisée par la combinaison d’analyses de radon et de PCO2 réalisées sur le terrain au niveau de différents sites et l’interprétation de photographies aériennes et de données LiDAR.
3) développer un bilan global sur les bassins versants étudiés en prenant en compte l’occupation du sol, les pentes, la géologie et l’hydrogéologie. En combinant les résultats obtenus sur les sites à l’étude avec des vérifications ponctuelles de terrain sur d’autres sites des bassins versants considérés, le projet devra permettre d’étendre les conclusions obtenues à l’échelle locale vers l’échelle des bassins versants. Ces vérifications ponctuelles incluront des analyses de la connectivité sur des portions plus grande de rivière. Cet objectif spécifique permettra ainsi de vérifier que les échanges de CO2 attribuables au continuum aquifère – rivière peuvent être significatifs, et que notre méthodologie peut être appliquée à différentes échelles d’analyses.
Dans cette étude, les apports d’eau souterraine incluent tous les apports issus des sédiments du lit en y intégrant les décharges d’eau souterraine et les échanges directs entre la rivière et son chenal. Des analyses des activités en 222Rn, en isotopes 226, 224, et 223 du radium, en isotopes de l’eau (2H et 18O) de même que des analyses de la pression partielle en CO2 (PCO2) in situ, du carbone inorganique dissous (=CID), du 13C du CID, et des paramètres physicochimiques (dont le pH et l’alcalinité) seront réalisées sur les échantillons prélevés. La détermination indirecte classique du PCO2 par le calcul avec l’alcalinité et le pH pouvant conduire à une surestimation des flux de CO2 (7), la mesure in situ de la PCO2 sera favorisée.
(1) Cole, J. J. et al. Plumbing the global carbon cycle: Integrating inland waters into the terrestrial carbon budget. Ecosystems 10, 171–184 (2007).
(2) Hotchkiss, E. R. et al. Sources of and processes controlling CO2 emissions change with the size of streams and rivers. Nat. Geosci. 8, 696–699 (2015).
(3) Macklin, P. A., Maher, D. T. & Santos, I. R. Estuarine canal estate waters: Hotspots of CO2 outgassing driven by enhanced groundwater discharge? Mar. Chem. 167, 82–92 (2014).
(4) Polsenaere, P. & Abril, G. Modelling CO2 degassing from small acidic rivers using water pCO2, DIC and d13C-DIC data. Geochim. Cosmochim. Acta 91, 220–239 (2012).
(5) Vidon, P. et al. Hot Spots and Hot Moment in Riparian Zones: Potential For Improved Water Quality Management. J. Am. Water Resour. Assoc. 46, 278–298 (2010).
(6) McClain, M. E. et al. Biogeochemical Hot Spots and Hot Moments at the Interface of Terrestrial an
Biehler, A., Chaillou, G., Buffin-Bélanger, T., Baudron, P., 2020. Hydrological connectivity in the aquifer–river continuum: Impact of river stages on the geochemistry of groundwater floodplains. Journal of Hydrology, 590, 125379. DOI: 10.1016/j.jhydrol.2020.125379.